Sursaut. Je braque mon arme devant moi, la vision trouble et le souffle court. Heureusement et presque comme à chaque fois, il n'y a rien d'autre que du vide devant le petit pistolet que je tiens d'une main tremblante. Je baisse mon arme et la pose entre mes genoux, sur l'épaisse couverture crasseuse qui sert à tenir tant bien que mal la chaleur humaine. Je passe alors de la position couchée à assise, posant mon dos sur le mur gris et recouvert de cendre. Au dehors je n'entends rien, quelques bruits d'oiseaux, les seuls êtres qui peuvent se balader comme bon leur semble dans cette partie de la ville. Quelque part au loin me parvient le bruit diffus d'une circulation de voiture. C'est toujours là-bas que je devrais me rendre, de l'autre côté de la ville, dans une zone contrôlée par l'armée et où les infectés ne sont qu'une poignée. Voir ma femme, la prendre dans mes bras. Lui dire que notre fils est mort, ou non.
[...]
Il était une fois.
Je suis né un quatre avril, il y a trente-huit ans. Mes parents étaient tous deux des professeurs éminents à l'université de Oxford, l'un se consacrait aux maths et l'autre excellait dans la littérature. J'avais donc toutes les cartes en main pour devenir un homme bien éduqué et très cultivé. Et c'est sans surprise que j'ai adoré l'école, obtenant des excellentes notes en travaillant dur jour après jour. Ici, pas question d'être un génie non. Je suis d'ailleurs content à ce jour de ne pas avoir hérité de ce que je considère comme étant un fardeau. Je n'avais pas besoin d'un QI plus développé que la moyenne pour pouvoir bien travailler et le fait d'avoir mes parents toujours très proches de moi pour m'aider en cas de difficulté me rendait encore meilleur à l'école. En vérité, j'ai pris à mes parents la plupart de leurs caractéristiques et de leurs passions, allant jusqu'à les suivre quand ils se rendaient à l'opéra.
Bref, enfance tranquille.
L'université étant une poursuite d'étude tout à fait logique pour moi, je m'y suis retrouvé sans l'ombre d'un problème. Je choisissais de me lancer dans la physique, juste parce que ça me semblait intéressant et particulièrement ardu. Et oui, j'étais un jeune homme en quête de défis, surtout scolaires. Me voilà donc dans le cours de mon père, à potasser des heures et des heures des cours longs et incompréhensibles pour la plupart des humains. Pourtant, j'adorais ça et mes notes étaient comme mon niveau de motivation, excellentes. Je n'oubliais bien sûr pas de profiter de ma jeunesse et j'ai pu commencer à m'aventurer dans le monde féminin.
C'est lorsque j'eus vingt-quatre ans que je fis la rencontre de ma vie. Lucy. Ma future femme. Je la rencontrais lors d'un gala organisé par l'université. Je venais alors de recevoir mon diplôme attestant que je pouvais désormais me lancer dans une carrière en tant que professeur de physique ou m'enfoncer dans les méandres de la recherche et du développement dans ce domaine. Bref, je ne manquais pas d'ouvertures d'emploi et mes parents étaient aux anges. Et donc c'est là que je suis pour la première et dernière fois tombé amoureux. Un coup de foudre, littéralement. Heureusement pour moi, j'étais à l'époque quelqu'un de très confiant et d'extraverti, aussi lui parler ne fut pas un problème pour moi.
A partir de ce jour là ma vie ne fut plus qu'une succession de journées joyeuses. On a passé cinq ans ensemble avant de prendre la décision de se marier. Question de prudence, pour ne pas aller trop vite. Si c'était la bonne alors j'avais tout le temps d'une vie pour faire évoluer notre couple. Elle pensait la même chose et je fus comblé. Nous nous sommes donc mariés dans une église d'Oxford. Un petit mariage avec tout juste la famille. Et puis nous avons annoncé la nouvelle à nos parents; nous décidions de partir de Oxford et d'aller vivre notre vie ailleurs. Pour ma part je ne leur laissais pas le choix d'accepter ou de refuser ma demande. J'étais le seul maître de ma vie et ils le comprirent très vite.
Lucy trouva très rapidement du travail et nous partîmes donc pour Dundee, une ville en pleine expansion. Elle venait d'être engagé par un centre de recherche qui luttait contre les maladies peu connues du monde entier. Je n'ai pas eu la même chance dans ma recherche pour l'emploi et je me contentais d'un travail de professeur de physique pour les premières années à l'université. Un travail qui ne me plaisait pas vraiment à vrai dire, puisque je cherchais avant tout à découvrir, tout comme ma femme, à trouver de nouvelles choses, expérimenter encore et encore.
Un an plus tard, Richard Krylov Hayman naissait. Tout petit, tout rose et tout mignon. C'était le plus beau moment de ma vie. Nous étions si heureux, si beaux que quand je m'imagine la scène de nous trois réunis je me sens obligé de lâcher quelques larmes. Une famille parfaite sous tous les angles. Rien de noir sur le tableau, pas une tâche à peine grisâtre. Parfait.
[...]
L’épidémie s'est déclenchée un jour et la situation à évolué très rapidement, trop rapidement. Je n'ai rien pu faire pour empêcher l'armée de construire un mur entre moi et ma femme. Je n'avais pas eu le temps de regagner la zone sûre. Je devais avant tout veiller à la protection de mon fils, qui tremblotait à chaque bruit. J'avais réussi à trouver un abri mais les infectés couraient les rues, se battant entre eux, assassinant de manière horrible les rares personnes qui n'avaient pas eu la chance d'atteindre les quartiers protégées par l'armée. J'eus juste le temps de contacter ma femme, avec le peu de batterie qu'il me restait, pour pouvoir lui dire dans quelle situation nous étions. Je savais désormais qu'elle ferait tout son possible pour nous retrouver.
Mon fils s'est fait capturer par un infecté. C'est de ma faute. Huit ans à peine et il se retrouve dans les bras d'un cannibale qui ne pense qu'à trouver un coin tranquille pour lui faire la peau. J'espère de tout mon coeur qu'il a pu fuir. Je l'avais éduqué pendant tout le temps où nous cherchions une faille dans le mur. Je souhaitais qu'il puisse se défendre en cas d'attaque, et surtout au cas où je venais à succomber aux assauts violents des contaminés. Mais voilà, c'est lui qui a disparu le premier et je ne m'en remettrais jamais. Je suppose qu'il y a de grandes chances pour qu'il soit mort et c'est pour ça que je tente de me faire à l'idée que j'ai perdu l'être qui est le plus cher à mes yeux. J'espère, j'espère encore un peu pouvoir le retrouver, le serrer dans mes bras alors qu'il criera "papa"...