La pluie tombe depuis ce matin. Mes volets sont clos, certes, mais j'entends les gouttes s’abattre les unes après les autres. Encore une fois, je n'ai pas trouvé le courage de manger, mon esprit préférant s’évader ailleurs que dans la nourriture. Assisse à même le sol, adossée au mur, je relis pour la énième fois la lettre que j'ai écrite quelques jours plus tôt:

« Cher Josh,
Je sais pertinemment que cette lettre ne te parviendra jamais, mais je ressens ce besoin de me confier à toi à travers un seul et unique bout de papier insignifiant. En réalité, je suis totalement perdue dans ce monde ressemblant plus ou moins à un véritable enfer. Tu te souviens, lorsque l'on était enfants, tu me cachais sans cesse les yeux quand les scènes télévisées devenaient trop violentes. Tu as toujours été là pour me protéger, tu as toujours assumé pleinement ton rôle de grand-frère et crois-moi, je t'en suis reconnaissante. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, tu n'es pas là et je dois faire face à cette atroce situation seule. Tout est arrivé si vite. Kane et Richard ne sont pas rentrés, ils sont de l'autre côté de la ville, dans cette zone catégorisée d'infectée. Je ne compte même plus les minutes qui me séparent d'eux, je n'en ai plus la force... Devant les autres, je m'efforce de faire la forte. Le regard sûr et la tête haute. Mais tu sais très bien que je ne suis pas ce genre de femme. Une fois la journée terminée, une fois la porte refermée derrière moi, je craque, indéniablement. Il n'y a pas un soir sans qu'une larme ne vienne souiller mon visage. La maison est si vide sans les rires permanents de Richard. Je ne mange plus, je ne dors plus non plus. Comment y parvenir en pensant à ces deux êtres m'étant chers, actuellement prisonniers d'un monde absurde ? Je passe mes journées à chercher un remède contre cette sangsue de virus, remède qui semble d'ailleurs impossible à trouver. Tu me croiras ou non mais, nous n'arrivons même pas à déterminer la provenance de cette maladie. Au fond, j'ai l'impression de vivre la fin du monde. Après tout, à force de contrôler la population par milles terreurs, cette fin tant annoncée finira bien par tomber. Pourquoi pas aujourd'hui ? De l'autre côté de la ville, le sang coule et les armes résonnent. C'est inhumain. Oui, inhumain de laisser des individus non infectés évoluer aux côtés de fous se trouvant un intérêt soudain pour les meurtres en tout genre. Inhumain de savoir Kane et Richard là-bas.

Ferme les yeux et oublie tout, combien de fois m'as tu répété cette phrase lors de divers coups durs ? Saches que si cette phrase était magique lors de mes dix ans, elle ne l'est plus aujourd'hui. Si mes paupières se veulent être closes quelques minutes, j’imagine le pire ou bien, j'ose me souvenir des événements ayant fait de ma vie ce qu'elle est. Petite, je ne croyais pas aux contes de fées et pourtant, je pourrais affirmer que jusqu'à il y a quelques mois, ma vie paraissait semblable à l'un de ces contes que maman me narrait autrefois. Il n'y a jamais eu un seul bémol. J'ai pleinement réussit mes études à Oxford et puis, j'ai rencontré Kane. Je me souviens que tu étais persuadé qu'entre lui et moi, ça n'allait pas fonctionner et pourtant, quelques années plus tard, nous nous sommes dit oui, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, nous l'avons vécu grâce à la naissance de notre fils. Je ne connaitrais sans nuls doutes rien de plus beau que de serrer ce petit être contre moi après neuf mois de grossesse. Nous étions comblés, heureux. Rien ne semblait pouvoir entacher notre paisible vie. Je n'espérais tout simplement pas vivre le "pire" de notre union si vite. Depuis de nombreuses semaines, le destin a choisi de m'arracher des bras de Kane et en a également profité pour emporter le sourire de Richard loin de moi. Ils ne sont pas morts. Ils ne peuvent pas être décédés. Non. Je refuse d'y croire. Pourtant, Dieu sait que de l'autre côté du mur, ils courent un grand danger...

Je te parle de mur, je ne sais pourquoi j'utilise ce mot en fait. Les rumeurs vont bon train, disant que les infectées n'ont rien trouvés de mieux que de détruire l'épaisse cloison rouge qui nous séparait d'eux. Je ne sais si ces dires sont fondés mais, la peur stagne en moi jusqu'à venir me glacer le sang. Bien sûr, l'armée n'est pas sans agir. Mais que veux-tu qu'ils fassent ? Entre la population saine qu'ils doivent défendre et secourir et les disparus qu'ils doivent rechercher, ils n'ont probablement que faire de mes requêtes à propos de Kane et Richard. Parfois, je viens à me dire que si le mur est réellement à terre, je devrais le franchir et passer de l'autre côté pour retrouver moi-même mon mari et mon fils. Je sais que ce serait trop dangereux, que ce serait peut-être même totalement naïf de ma part mais, il n'y aurait pas meilleure preuve d'amour. Loin d'eux, crois-moi, je ne suis plus rien. Qu’adviendrait-il de moi si jamais je venais à apprendre leurs décès ? Tu peux me le dire ? Et bien moi, je crois que je n'aurais même plus la force de vivre. Je chuterais petit à petit dans une sorte de dépression et irais peut-être même jusqu'à me jeter dans les griffes de ces misérables fous. Pour éviter de penser à cela, je me contente donc de prier pour leur survie. Je te vois venir d'ici en rétorquant que je n'ai jamais vraiment été croyante... Peut-être bien. Mais pour le moment, je n'ai trouvé aucune autre solution pour espérer les revoir un jour.

Aujourd'hui, je n'ai pas quitté ma chambre. Je suis restée assisse là, sur le lit, observant tantôt les informations que j'ai sur le virus, tantôt les quelques photos de famille que j'ai couché sur les draps. Le téléphone reste également à proximité, au cas où un appel de Kane vienne mettre fin à ce calvaire. Je sais que ça ne sert à rien de rester plantée là sans rien faire mais, je n'ai personne pour me forcer à garder le sang froid, personne pour me redresser et me rendre le sourire. Au fond, je suis comme morte, oui, c'est ça. J'ai perdu ma raison de vivre depuis qu'ils évoluent loin de moi. A notre arrivée ici, l'Ecosse me paraissait être le plus bel endroit du monde et Dundee était une ville pleine de charme. Aujourd'hui, les couleurs semblent ternes et la poussière envahie les rues au même titre que nos esprits incertains. Lasse, j’attends la fin du cauchemar, rêvant alors que tout ceci ne soit qu'un simple songe. Mais il n'en ai rien, tout cela est réel. Aussi réel que cette lettre que j'écris dans l'espoir de penser à autre chose. Vainement... Tu ne tiendras jamais cette lettre entre tes mains, j'en suis consciente mais j'espère simplement qu'un jour, tu auras la chance de nous avoir tous les trois au téléphone. Je pourrais ainsi te narrer la fin de ce scénario digne des scènes filmiques que tu m’interdisais de voir lorsque j'avais l'âge de Richard. Aussi j'espère que cette fureur ne parviendra pas jusqu'en France où, je l'espère, tu passes auprès de ta femme et de tes filles, un bien meilleur moment que je ne passe moi.

Une larme s'échappa alors, ruisselant le long de mon visage. Depuis ces quelques mots couchés sur une page blanche, la situation n'avait pas évoluée. Kane et Richard n'étaient toujours pas revenus et je n'en savais pas plus sur le virus. La gorge nouée, je suis de plus en plus méfiante. La rumeur est confirmée, les infectés ont réussit à s’infiltrer de notre côté. Pour le moment, je n'en ai croisé aucun. Il faut dire qu'en restant cloitrée entre quatre murs, je suis certaine de ne pas les voir. Cependant, j'ai en moi cette envie de sortir, de m'aventurer dans les rues pour retrouver les deux hommes de ma vie. Advienne que pourra.